Quand bruissent les bambous

 Court extrait de la nouvelle “La Belle au Pont Dormant”, qui ouvre le recueil.

« La nature avait doté la jeune fille d’un visage et d’une silhouette capables de réconcilier le dernier d’une classe avec la géométrie. L’ovale de son visage trouvait un écho dans l’amande de ses yeux légèrement bridés. Son chapeau pointu était retenu par deux rubans fixés à la base du rotin et noués sous le menton. L’ensemble traçait les contours parfaits de deux triangles se rejoignant pour dessiner un losange au centre duquel le visage de la jeune fille, ourlé d’ombre, diffusait l’éclat pudique d’une lune voilée. Les manches chauve-souris de sa tunique formaient, elles aussi, deux triangles lorsque Miel écartait les bras pour écrire sur la souche de son petit carnet. Quand le vent soufflait, l’étoffe légère se gonflait comme les voiles d’une jonque et l’esprit de Martin lui jouait alors des tours : il l’imaginait bateau, glissant sur le Mékong, ou bien encore cerf-volant, tournoyant au-dessus des eaux bronze du fleuve. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était la retrouver, au petit matin, installée au bout de la passerelle de bambou qui enjambait la Nam Khan. Elle appartenait à ce décor… ».