L’ombre de la colline

 

L’ombre de la colline de Laurence Marconi

Chère inconnue,

Tu marches à la lisière de l’eau. C’est l’été. Il est tôt. Le vent arrache quelques larmes à la brume de tes yeux, qu’il s’empresse de sécher. Elles dessinent sur tes joues des sillons salés, des vagues minuscules maquillées d’écume. À chaque fois que tu plisses les yeux, tu ressens sur ta peau la brûlure de cette trace blanche. Tu te mords les lèvres pour ne pas pleurer, pour ne pas mêler à ces larmes factices que le vent te vole des larmes lourdes de chagrin qui ne demandent qu’à jaillir. Car tu es triste, ou peut-être seulement nostalgique, et ta promenade au bord de la mer n’est rien d’autre qu’un long soupir. Tu cherches à chasser cette mélancolie qui te submerge. Sinon, pourquoi serais-tu là, seule, dans la blancheur d’un matin d’été ?

 

Tu marches, lentement, un peu voûtée, au plus près des langues de mer qui s’enroulent et se déroulent à tes pieds, et tes yeux humides se perdent dans les méandres que forment, dans le sable mouillé, ces longs serpents liquides et luisants. Et puis tu pénètres jusqu’à mi-cuisse dans l’eau dont la fraîcheur te saisit et tu lâches la bouteille dans laquelle tu as enfermé le récit de tes souvenirs. Tu connais bien les vents et les courants et tu sais qu’aujourd’hui les vagues l’emporteront au large. Elle se laisse chahuter par le roulis, gîte mollement, avant de s’éloigner. Tu la regardes disparaître peu à peu et dans tes yeux se reflète l’éclat du ciel qui s’écrase de tout son poids sur la mer. Tes lèvres dessinent un sourire en demi-lune quand tu te retournes pour sortir de l’eau. Tu es émue. Soulagée et heureuse. Tu viens de confier ton passé à la mer et tu espères qu’un jour un inconnu pourra le recueillir. À travers le rideau de tes cheveux gris que le vent emmêle, je devine les traits de ton visage, éclairés d’une joie tout enfantine, et cette expression qui t’anime quand tu penses au moment où cet inconnu découvrira le récit aigre-doux de ta vie. Et ce frisson qui parcourt l’esquif de ton corps est un courant qui t’emporte, loin, jusqu’aux confins de ta mémoire.